Histoires d'EAU !


     Peu d'éléments naturels posent plus de problèmes au modéliste que la représentation de l'eau.
     Or, à  moins de faire une maquette du Transsaharien, sur un réseau de trains miniatures, de l'eau, il pourrait y en avoir partout : flaques, mares, étangs, lacs naturels ou de retenue, ruisseaux, torrents, rivières ou fleuves et jusqu'à  la mer. Comme la plupart des modélistes ont envie de représenter au moins un pont ou un viaduc, la question du cours d'eau se pose immanquablement.

     La première idée qui vient à l'esprit, et c'est une tentation bien compréhensible, c'est de représenter l'eau par... de l'eau ! Le fabricant allemand de décors Faller vend d'ailleurs une fontaine et un moulin dans lesquels circule de l'eau véritable grâce à une petite pompe du genre de celles qu'on utilise pour les aquariums. Les maquettes en question sont entièrement en matière plastique, et la quantité d'eau qui y circule est très faible.


     Pour ce qui concerne des débits plus importants, nous connaissons dans le Midi de la France au moins deux réseaux qui utilisent ou utilisaient de l'eau véritable : le club de Bayonne et celui de Tarascon-sur-Ariège. En apparence, le système est simple, et nous allons en donner les grandes lignes : le fond du cours d'eau, et jusqu'à  une certaine hauteur, doit évidemment être absolument étanche et imperméable. Nous ne savons pas exactement quel matériau a été utilisé dans l'un et l'autre cas, mais on peut supposer l'emploi de résine polyester armée et chargée, formant coque.

     A Bayonne, le cours d'eau représente I'Adour, fleuve calme. L'eau est remontée à  l'aide d'un vieux moteur de machine à  laver, et elle est récupérée avant le bord du réseau qui coupe le cours du fleuve, à  travers une discrète fente latérale, comme dans les piscines. A Tarascon, l'eau serpente torrentueusement au fond d'une vallée, puis traverse les chenaux d'une base de loisirs avant de se perdre hors de la vue des visiteurs. Les deux réseaux cités sont beaux, le décor traité avec beaucoup de soin par des modélistes de talent et pourtant ( mais ceci est une opinion qui n'engage que nous ) l'image des cours d'eau donnée par de l'eau véritable ne nous paraît pas vraiment convaincante. Nous avons essayé de comprendre pourquoi, et voici ce que nous croyons. 

     Ces réseaux représentent des paysages réduits au 1/87ème (ce serait encore plus vrai pour des réseaux en N, au 1/160ème), mais l'eau qu'on y fait circuler est si l'on peut dire à  l'échelle 1/1. Où¹ est le problème ? Il est double : optique et moléculaire (compliqué, non ?). Du point de vue optique, si vous représentez mettons un lac de 10 m de profondeur, en HO (au 1/87ème), vous devriez lui accorder 115 mm (et la plupart du temps vous n'allez pas dépasser 2 ou 3 cm !). Or la transparence d'une couche d'eau, même pure, de 10 m est évidemment bien plus faible que celle d'une couche de quelques centimètres. Premier problème. Le second problème, toujours optique, est dû au point de vue du spectateur.

     Dans la réalité, sauf quand vous vous promenez en avion, vous ne regardez les plans d'eau que d'une faible hauteur, de façon très oblique, alors que sur le réseau de trains miniatures, en général vous les dominez, votre regard plonge dedans. Résultat, les angles de réflexion et de réfraction sont faussés. Ceci vaut surtout pour les plans d'eau calme. Pour l'eau courante, la question de la transparence reste identique, mais apparaît en plus un problème moléculaire. La façon dont se propagent les rides, la taille des vagues devraient être réduites 87 fois sur le modèle réduit, et pour aller jusqu'au bout de l'explication, un rapide ou une cascade réelle de 1 m de haut crée un remous et un bouillonnement très visibles, avec de l'écume, alors qu'en tombant de 1 cm, l'eau ne produit rien de tel.

     Au-delà ; de la question de l'aspect, un deuxième problème se pose avec l'utilisation de l'eau véritable, c'est que ni l'électricité, ni les produits couramment utilisés pour le décor (flocage, plâtre, colle, etc.) ne font bon ménage avec l'eau. Tous les modélistes vous le diront: les deux gros ennemis du réseau sont la poussière et l'humidité. Alors aller mettre EXPRES de l'eau dans le réseau ne nous semble pas la meilleure idée du monde.

     Il y a une trentaine d'années, les modélistes représentaient souvent l'eau par une couche de plâtre bien lissé et peint en bleu. C'était une technique bien naïve. L'eau est bleue dans la chasse d'eau des W.C. et sur les cartes de géographie, mais pas dans la nature. Si la mer paraît parfois bleue, c'est qu'elle reflète le ciel, mais la plupart du temps, l'eau est n'importe quoi sauf bleue : jaunâtre, brunâtre, plus ou moins verte..., et ça varie !

    A la même époque, d'autres amateurs utilisaient tout simplement une plaque de verre ou un bout de miroir. Le résultat était bien meilleur, sauf que le miroir reflétait fidèlement le plafond de la salle du réseau. L'idéal aurait consisté alors à  décorer le plafond d'une représentation de ciel. Pour évoquer les vaguelettes, on utilisait du verre "cathédrale". Le schéma montre comment inclure la plaque de verre dans le décor de façon satisfaisante. Pour des cours d'eau d'une certaine longueur, c'était une autre histoire. Quoi qu'il en soit, ces techniques n'autorisent la représentation que de plans d'eau, pas des ruisseaux ou torrents. 

     L'idéal semble donc imposer l'usage de produits qu'on peut couler, mettre en forme, puis qui durcissent en place sans se déformer tout en donnant une image convaincante de l'eau. Mais avant tout, il faut préparer le fond, qui retiendra le liquide en attendant qu'il durcisse. Au R.M.C. nous travaillons la forme générale avec du plâtre, ou de l'enduit qui "prend" moins vite, ou mieux encore avec du stuc obtenu en ajoutant de la colle à  bois (colle vinylique) au plâtre ou à  l'enduit. Une fois le bassin mis en forme, et bien sec, comme votre "eau" conservera une certaine transparence, vous devez travailler en détail tout ce qui risquera de se voir.

 

     C'est bien simple, il suffit d'imaginer qu'une grande sécheresse a vidé votre lac, votre torrent ou votre rivière. Du sable, de la vase, des rochers tapissent le fond dans un ordre logique façonné par la disposition du terrain et les courants. Pour augmenter l'effet de profondeur, il y a intérêt à  utiliser des couleurs de plus en plus sombres au fur et à  mesure que la zone traitée est plus profonde. Pour une rivière moyennement calme, on passera du sable clair près des berges à  des mélanges de terre de Sienne naturelle, puis terre de Sienne brûlée et de noir en allant jusqu'au fond. Il faut toujours soigneusement fondre les couleurs entre elles pour passer imperceptiblement d'une nuance à  l'autre. Par-ci par-là , des bancs de galets, de gravier ou de sable viennent nuancer le lit, eux aussi plus ou moins teintés selon la même règle; on peut aussi, sans en abuser, installer des écheveaux de couleur verte pour évoquer des masses d'algues ou d'herbes aquatiques. Près du bord au niveau de la surface, on plante irrégulièrement des joncs, des roseaux constitués de petites touffes de ficelle teintée de vert plus ou moins foncé. Une brindille bien choisie peut évoquer un tronc apporté par une crue, etc. Et puis on laisse tout bien sécher avant de passer à  la suite.

    Un produit bien simple peut évoquer l'eau de façon tout à  fait convaincante : le vernis. Un des membres de notre club a traité ainsi une rivière, et le résultat est vraiment magnifique. Son seul inconvénient est qu'il demande une patience de Bénédictin. En effet, les couches successives ne peuvent pas dépasser une certaine épaisseur, faute de quoi elles ne sécheront jamais, et pour que l'effet de profondeur soit satisfaisant, il faut en accumuler sur au moins trois ou quatre millimètres. De ce point de vue, un produit qui prend "en bloc" est moins éprouvant pour les nerfs de l'utilisateur.

    Commençons par un truc extraordinaire et qui nous amuse bien, mais que nous n'avons jamais nous-mêmes essayé. Nous en connaissons l'existence par les revues britanniques ou américaines, les modélistes de ces pays ayant souvent des vraiment bonnes idées, et sans complexes : le suppositoire à  la glycérine. Voici comment il s'utilise. Dans une vieille casserole, il faut faire chauffer de l'eau à  60°. On y ajoute des suppositoires à  la glycérine (ça se trouve pour pas cher en pharmacie) et on touille pour les faire fondre, jusqu'au refus. On coule alors le produit en place, et on laisse refroidir. Le tout prend comme une gelée, et voilà . Répétons que nous n'avons pas testé ce truc, et que nous imaginons que la surface du plan d'eau doit être un terrible attrape poussière. D'un autre côté, il ne doit pas être très difficile de racler régulièrement la partie souillée, et d'en "remettre une couche" pour rafraîchir l'aspect.

    Nous en arrivons maintenant à  des produits plus élaborés, et dont tel ou tel d'entre nous a fait un jour ou l'autre l'expérience.

    Les magasins de modélisme proposent des produits spécialement réservés à  cet usage : nous avons essayé jadis un liquide qui s'appelait "O", proposé par un artisan français ou peut-être par Jouef. Outre que c'était très cher, tout ce que nous en avons obtenu était une plaque toute grumeleuse et pleine de bulles, d'un bleu agressif, et qui s'est déformée au bout de quelques semaines comme si elle tentait de rejoindre toute seule la poubelle. Nous n'avons pas voulu la contrarier, c'est là  qu'elle est à  présent.

    Faller vend une résine à  deux composants d'excellente qualité, facile à  utiliser et qui ne sent pas mauvais. Seul défaut, elle est un peu chère, et surtout très difficile à  trouver dans les magasins de notre région.

    Restent les résines qu'on trouve maintenant facilement presque partout, à  un prix acceptable, même si ça n'est pas vraiment bon marché. Il existe en fait deux types de résine : epoxy, de très bonne qualité, très belle, mais chère, et polyester, beaucoup moins chère et qui va très bien aussi pour notre usage.

    Dans les magasins de bricolage on trouve maintenant couramment des résines dites "à  inclusions" qui font très bien l'affaire. Le torrent de notre réseau et rivières de divers modules ont étés coulés avec de la résine polyester pour inclusion Soloplast de chez Vosschemie: type GTS pro, pré-accélérée, super transparente, achetée chez un M. Bricomachinchose.

    Pour faire votre coulée, il vous faut :

   - la résine proprement dite. Attention, il ne faut pas en couler trop à  la fois, au-delà  d'une certaine quantité (mettons ½ litre), les réactions chimiques deviennent violentes, vous risquez des échauffements inquiétants, des tensions et jusqu'à  des cassures dans le bloc durci. Donc on procède par coulées successives d'épaisseurs de l'ordre de 5 mm entre lesquelles il vaut mieux laisser durcir chaque couche entre une heure et une journée... Tout dépend de la température ambiante. Ne coulez pas si il fait froid, vous risqueriez que la réaction chimique ne démarre pas du tout, et alors bonjour la glu ! Plus il fait chaud, plus ça va vite. Nous avons coulé notre rivière et notre mare en août, par 25 ou 28° et une demi-heure suffisait entre chaque couche.

   - l'accélérateur. Quelques gouttes suffisent, qu'on ajoute à  la résine avant de mélanger le durcisseur. Certaines résines sont préaccélérées, l'accélérateur y est mélangé d'avance.

   - le durcisseur. C'est lui qui va déclencher la réaction. Il faut le doser assez soigneusement. Pas assez, la résine ne prendra pas, ou pas toute et il vous restera des zones pâteuses, catastrophe ! Trop, votre mélange va commencer à  prendre avant même que vous ayez fini de touiller, et vous ne pourrez même pas le couler en place, et en plus ça va faire des bulles ! Mais ne vous inquiétez pas trop, ça ne se joue pas au milligramme, vous aurez vite le coup de main.

   - un colorant. Il n'a rien d'obligatoire, mais on peut obtenir de très jolis effets en coulant d'abord des couches nuancées de vert, puis successivement de moins en moins teintées. Mais ATTENTION, ayez la main légère ! Il en faut vraiment TRÈS PEU, un quart de poil de goutte ou vous vous retrouverez avec un mélange plus foncé qu'une bouteille de bordeaux !

   - de la paraffine. Elle non plus n'est pas obligatoire. Elle peut servir à  "lisser" la surface de la dernière couche, en garantissant qu'elle ne sera pas poisseuse. Elle présente quelques inconvénients. D'abord, vous devez être sûr que la couche paraffinée est bien la DERNIÈRE, vous ne pourrez plus rien couler dessus, ni coller, ni vernir... Ensuite, elle fait apparaître sur la surface des marbrures discrètes, mais pas toujours souhaitables... Tout compte fait, nous en déconseillerions plutôt l'usage.

     Pour représenter un torrent, des problèmes nouveaux se posent qui sont d'une part la pente générale qui risque de faire couler tout votre produit en bas de la vallée avant qu'il ait le temps de prendre, d'autre part la mise en forme et en "couleur" des rapides et des cascades.

    Vous avez maintenant toutes les indications utiles pour représenter un lac, ou une rivière calme. Nous avons vu des réalisations d'amateurs montrant une maîtrise extraordinaire du travail de la résine, en particulier au niveau des rides ou ondulations de surface. Il semblerait que de tels effets s'obtiennent en forçant la dose de durcisseur pour la dernière couche ; nous ne savons pas encore bien faire cela, mais ça viendra...

    La question de la pente se résout en coulant la résine par toutes petites couches, en partant du haut et en superposant coulée après coulée, comme les tuiles d'un toit, mais qui se fondraient les unes dans les autres. Les cascades sont constituées d'une "armature" en plastique transparent, découpée, mise en forme à  chaud, puis noyée dans du vernis acrylique transparent, lui aussi passé patiemment couche après couche. Au fur et à  mesure de l'épaississement de la lame "d'eau", on ajoute au pinceau fin des lignes verticales de peinture acrylique blanche, qui figurent les filets d'eau mêlés d'écume et on garnit le pied de la cascade de petites touffes de coton hydrophile noyées dans la résine. Ici, pas de recette miracle, tout se joue au "feeling" et à  a patience, avec des photos et des souvenirs, un bon tour de main et pas mal de chance !

Texte et dessin de Michel VIERS

    Pour simuler l'écume derrière les rochers, vous pouvez coller, à  la colle à  bois, du coton ( j'ai pris les tampons de démaquillant de madame ).

    Pour les effets du tumulte du torrent, j'ai repoussé la résine pendant qu'elle se figeait avec un bâtonnet.

ATTENTION, il faut exagérer les vagues ainsi formées car la résine descend en durcissant. Y revenir si nécessaire avant le durcissement final.

    Vous pouvez faire un calme bien lisse suivi d'une zone peu chaotique. Module Le Berlou
 
La Gargante, rivière du réseau du club.

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